Nous republions ici la lettre ouverte de la fédération à destination de Sébastien Soriano (Arcep) et Stéphane Richard (Orange) :
Messieurs,
Le déploiement de la fibre optique suit son cours en France.
Comme le souligne la Commission dans la note C(2017) 8038 transmise à
l’ARCEP le 24 novembre 2017 et disponible en ligne, il est en train de
se constituer un réseau entre quelques opérateurs de boucle locale
mutualisée, qui n’est pas accessible à bon nombre d’opérateurs, et donc
de marchés. En particulier, l’absence d’une offre activée entraîne une
réduction sensible de la diversité des offres, et donc un retard notable
sur certains marchés (voir à ce sujet l’analyse de marché du fixe
publiée par l’ARCEP, analyse à laquelle répondait la Commission).
L’autorité de la concurrence, dans son avis 12-A-02 du 17 janvier
2012, appelait à la vigilance du régulateur sectoriel sur l’existence
des offres de gros indispensables à l’animation de la concurrence sur le
marché, en particulier sur le fait que des offres activées (dites de bitstream)
sont nécessaires. Ces offres permettent aux petits opérateurs de
couvrir les marchés exigeants, parfois désignés comme marchés de niche,
qui ne correspondent pas aux offres généralistes. Ces marchés existent
tant chez les professionnels que chez les particuliers, et ne sont pas
correctement couverts par les offres générales des grands opérateurs
intégrés.
L’ARCEP a déjà établi des lignes directrices, publiées en décembre
2015, sur les tarifs d’accès activés dans le cadre d’une BLOM mise en
place dans la cadre des réseaux d’initiative publique. Les réseaux
d’initiative publique proposant, par principe, des offres de gros
passives qui permettent aux grands opérateurs de répliquer leurs offres
habituelles, ces lignes directrices donnent au moins un indice fort sur
le tarif qui devrait être appliqué à une offre activée sur les zones
AMII ou les zones très denses.
L’article L. 1425-1 du code général des collectivités territoriales
impose aux réseaux d’initiative publique d’être accessibles sans
discrimination aux opérateurs. L’absence d’une offre activée raisonnable
empêche, dans nombre de cas, l’effectivité de ce droit. Ce point a
d’ailleurs été ré-affirmé de manière claire par le législateur dans
l’article 231 de la loi dite ELAN, qui vient modifier l’article L.
1425-1 du CGCT.
La position d’Orange sur le marché de la fibre optique est
particulière. Orange opère en effet dans la totalité des zones AMII, et
est délégataire pour de nombreux RIPs. Il se trouve par ailleurs que les
technologies utilisées depuis plusieurs années par Orange dans les
réseaux FTTH (PPPoE sur le vlan 835 livré sur les ONT des abonnés) est
entièrement compatible avec une offre activée livrée en L2TP selon des
usages déjà bien répandus dans la profession. Les techniques utilisées
de manière plus récentes sont également compatibles avec des modes de
livraison d’offres activées devenus classiques ces dernières années.
L’obligation qui est faite aux RIPs de fournir une offre raisonnable, et
donc pour les petits opérateurs une offre activée qui soit alignée avec
les lignes directrices de l’ARCEP, est donc facilement atteignable pour
Orange sur le plan technique.
L’indisponibilité d’une telle offre dans des conditions raisonnables
est un indice fiable du rétrécissement du marché, de la détérioration
durable de la concurrence et est de nature à inquiéter les autorités de
régulation. En effet, le plan gouvernemental de couverture de la France
en fibre optique a comme effet incontestable ce rétrécissement, et la
reprise de positions dominantes d’Orange, à la fois sur
l’infrastructure, et sur le marché de détail. Ces indices montrent un
problème de concurrence.
Il nous semble donc qu’Orange est en mesure, par un choix
volontariste mais simple et peu engageant, d’aider le régulateur à
assainir le fonctionnement du marché du très haut débit pour les
entreprises, ainsi que pour le marché de gros des particuliers destiné à
servir les marchés « de niche ». L’ouverture d’une telle offre n’impose
aucune modification des infrastructures, aucun investissement dans les
équipements réseau, qui sont déjà en place, aucune nouveauté en matière
d’ingénierie du réseau, et un investissement dans l’outil de
commercialisation (force de vente, système d’information, etc) très
raisonnable. Cet effort est probablement plus simple à mettre en oeuvre
dès maintenant, avant que le régulateur n’ait été contraint d’agir par
les autorités.
Ce choix, marque de bonne volonté d’Orange, serait de nature à
démontrer que la fermeture du marché n’est pas le fait d’un dessein
malveillant, qui pourrait être qualifié d’abus de position dominante,
mais bien d’un aléa du séquencement des déploiements en cours et de la
commercialisation des offres utiles. Ce choix serait par ailleurs une
incitation puissante pour les autres délégataires de RIP ainsi que pour
les autres opérateurs de BLOM, et devrait donc jouer un rôle fort pour
assainir l’ensemble du marché.
Enfin, le fait pour Orange de proposer ces offres, de manière
cohérente entre toutes les zones où Orange opère la boucle locale fibre,
est un outil permettant de diversifier la base des utilisateurs de ces
boucles locales. En effet, les marchés actuellement mal couverts se
traduisent par un retard d’utilisation, c’est-à-dire des zones qui sont
couvertes par le réseau fibre, mais qui ne sont pas utilisées sur ces
marchés. Ce serait donc un choix de nature à améliorer, certes
marginalement mais de manière sensible, le taux d’utilisation de ces
réseaux.
Il nous semble donc que ce choix, relativement simple pour Orange, ne
présente que des avantages pour l’ensemble des parties. Pour nos
opérateurs, comme pour les autres opérateurs concernés, cela évite des
contentieux et du retard dans l’utilisation de la fibre optique. Pour
Orange, cela permet de montrer sa bonne volonté et d’améliorer le taux
d’utilisation de la boucle locale optique, et pour l’ARCEP, cela permet
d’assainir les marchés qui sont en train de se bloquer faute, pour la
concurrence, de correctement fonctionner.
Restant à votre disposition pour en discuter s’il était besoin,
Pour la Fédération des fournisseurs d’accès à Internet associatifs,
Oriane Piquer-Louis, présidente de la Fédération
Benjamin Bayart, président de la Fédération
(21 octobre 2018)